« Une justice qui dure est injustice », telle est la quintessence du propos tenu par Monsieur le Premier Président de la Cour suprême lors de l’audience solennelle de rentrée judiciaire tenue le 25 février 2021 au cours de laquelle, cette haute autorité judiciaire a lancé un vibrant appel à l’exécution des décisions de justice.
Une telle problématique dont l’intérêt et la pertinence interroge l’effectivité même de la qualification d’Etat de droit d’un système juridique ainsi que l’effectivité de la justice, nous invite à nous intéresser entre autre, aux professionnels chargés d’assurer l’exécution des décisions de justice que sont les huissiers de justice.
C’est dans ce sillage que tout en invitant les acteurs du corps judiciaire à se plier aux décisions de justice dès lors qu’elles sont devenues définitives, Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême a surtout appelé au rétablissement des huissiers de justice dans leurs rôles d’officiers ministériels chargés de l’exécution des décisions de justice au Cameroun.
Dès lors, la publication le 25 janvier 2023 du Décret n°2023/042 portant statut et organisation de la profession d’Huissier de Justice et d’Agent d’Exécution participe-t-elle de ce processus ?
Là est donnée l’occasion d’effectuer une étude diachronique et évolutive de la profession d’huissier de justice au Cameroun et l’on constatera à cet effet de l’analyse du nouveau texte, qu’il apporte des innovations tant au niveau de la définition de cette profession, qu’à ceux des conditions d’accès, de cessation et enfin des modalités de son exercice.
- Sur la définition de l’huissier de justice du Cameroun :
Précédemment défini aux termes de l’article 1er du Décret n°79/448 du 05 novembre 1979 portant réglementation des fonctions et fixant le statut des huissiers comme des officiers ministériels chargés d’accomplir certains actes, le nouveau Décret n°2023/042 du 25 janvier 2023 en son article 2, précise clairement que l’huissier de justice est un officier ministériel et public chargé d’accomplir certains actes.
Cette précision qui n’est pas anodine, vise à résoudre une controverse sur la nature juridique des actes posés par ces derniers, certains leur déniant un caractère authentique nonobstant leur statut d’officiers ministériels.
Ce débat est d’ores et définitivement tranché au regard de distinction entre ces deux notions qui ne sauraient être confondues, l’officier public étant aux termes du lexique des termes juridiques, une personne délégataire de la puissance de l’État a qui est conféré la qualité pour dresser ou conserver des actes authentiques tandis que l’officier ministériel est un professionnel titulaire d’un office ou d’une charge qui lui est conféré par l’autorité publique et pour lequel il a le droit de présenter un successeur.
- Sur les conditions d’accès et de cessation des fonctions d’huissier de justice :
Si les conditions liées à la nationalité camerounaise, au diplôme universitaire de licence, à la bonne moralité et enfin à la nomination par Décret du Président de la République qui demeurent inchangées, l’unique innovation apportée par le texte réglementaire du 25 janvier 2023 est inhérente à la condition d’âge qui a été ramenée de 25 ans à 23 ans.
A l’inverse relativement à la cessation des fonctions, il y’a lieu de relever que le nouveau texte tout en ramenant l’âge d’accès à 23 ans, a à contrario porté celui du départ à la retraite des huissiers de justice de 60 ans à 65 ans.
En outre, si aux termes du Décret n°79/448 du 05 novembre 1979 les fonctions d’huissier pouvaient prendre fin en cas de démission, de limite d’âge, de destitution ou de décès, l’article 54 du nouveau texte rajoute à ces cas de cessation de fonction, l’incapacité dument constatée tout en aménageant un régime de liquation de l’Étude à l’issue de la cessation effective des fonctions (Voir en ce sens, articles 55 et 56 du Décret).
- Sur les conditions d’exercice de la profession d’huissier :
Le Décret n°2023/042 du 25 janvier 2023 apporte les innovations suivantes dans l’exercice de la profession d’huissier de justice au Cameroun :
- L’instauration d’une carte professionnelle,
- La comptabilité de l’huissier,
- La discipline de l’huissier,
- Le mode d’exercice en commun et en société civile professionnelle,
- La consécration de l’inviolabilité de l’Étude de l’huissier,
- Renforcement des prérogatives de la chambre Nationale des Huissiers.
Les articles 20 et 21 du nouveau texte instaurent une carte professionnelle des huissiers d’une validité de 10 années. Cette carte est délivrée par le Ministre en charge de la justice sur présentation par la chambre des notaires, d’un dossier.
Au niveau de sa comptabilité, le nouveau texte a vu l’éclatement des registres comptables du répertoire général en matière civile et celui en matière pénale en sept (07) registres distincts à savoir : le répertoire général en matière civile, celui en matière commerciale, celui en matière pénale, celui en matière des comptes, celui en matière administrative, celui en matière sociale et enfin un répertoire général en matière d’arbitrage et de conciliation.
Si la discipline des huissiers est toujours assurée par les Procureurs Généraux près les Cours d’Appel et le Ministre de la justice garde des sceaux, l’innovation de la nouvelle réglementation impose cependant à ces derniers dans l’exercice de leurs prérogatives, de recourir à l’avis consultatif de la Chambre nationale des huissiers de justice ou des chambres régionales des huissiers de justice.
Outre cette modification, le nouveau texte a également prévu au rang des sanctions et comme nouveauté, le remplacement d’office (article 41 alinéa 1) et un régime de sanctions pour les clercs assermentés (article 49).
Outre l’exercice individuel qui était l’unique mode reconnu alors aux huissiers de justice, le nouveau texte a instauré le mode d’exercice en commun en Sociétés Civiles Professionnelles en abrégé SCP (Article 3 alinéa 2 du Décret de 2023).
L’article 57 alinéa 2 prévoit à cet effet que les SCP peuvent être de 2 formes :
- la SCP titulaire d’une charge d’Huissier de Justice constituée entre des Huissiers de Justice titulaires de charge, qui démissionnent de leurs charges respectives.
- la SCP non titulaire d’une charge d’Huissier de Justice ou Société de moyens, constituée entre des Huissiers de Justice d’un même ressort de compétence, qui conservent chacun sa charge, mais qui s’engagent à partager les responsabilités liées au fonctionnement de leurs Cabinets d’Etudes respectifs.
SI les SCP non titulaires de charges sont autorisées par arrêté du Ministre en charge de la justice (article 62 alinéa c), il y a lieu de noter que l’attribution d’une charge d’Huissier de Justice à une SCP ne peut intervenir que par Décret du Président de la République ce, après avis du Ministre chargé de la Justice (article 59 alinéa 5).
L’innovation suivante est celle de l’article 17 du Décret dont s’agit qui consacre le principe de l’inaccessibilité, l’insaisissabilité et l’inviolabilité de l’Étude de l’huissier, protection jusqu’alors réservée aux autres acteurs et officiers ministériels du monde judiciaire notamment les avocats et notaires.
Enfin, le nouveau texte consolide le rôle de la Chambre nationale des Huissiers de justice en attribuant à cette dernières, des compétences qui étaient alors réservées aux assemblées générales des Cours d’Appel notamment en matière d’accès à la profession et en matière de discipline des huissiers de justice .
Par Me METEKONG NANGUE Christer Lionel