La fixation judiciaire des loyers est une question récurrente à laquelle font face les tribunaux. Bien que la Loi (Acte uniforme portant droit commercial général) donne la liberté aux parties de fixer le montant du loyer, l’expérience montre qu’elles ne s’accordent pas très souvent à l’occasion des révisions.
Ainsi, à défaut d’accord écrit sur le nouveau montant du loyer, la juridiction compétente, statuant à bref délai est saisie par la partie la plus diligente afin que le juge fixe le montant du nouveau loyer. Il s’avère que ce pouvoir judiciaire de révision, loin d’être une solution, est plutôt une source de conflits pour les parties. En général, ce sont les éléments pris en compte pour la révision qui sont querellés. Il existe en la matière une jurisprudence constante.
L’article 117 de l’Acte uniforme précité indique les éléments sur lesquels le juge doit se fonder pour fixer le loyer. Il doit tenir notamment compte de :
- La situation de l’immeuble ;
- Leur superficie ;
- L’état de vétusté ;
- Le prix des loyers commerciaux couramment pratiqué dans le voisinage pour des locaux similaires.
La question qui revient très souvent est celle de savoir si ces éléments sont tout simplement indicatifs ou alors le juge peut fixer le loyer en prenant en compte d’autres éléments. Dans une affaire portée devant la CCJA, le juge a reconnu le caractère d’ordre public de ces éléments d’appréciation. Pour lui « en cas de désaccord entre les parties sur la fixation du loyer, il ne saurait être reproché au juge du fond de ne pas avoir tenu compte des dispositions d’un texte de droit interne contraires aux éléments d’appréciation d’ordre public prévus à l’article 117 » (CCJA, 2ème ch. Arr. n° 036/2008, 03 juillet 2008, Affaire Société Burkina et Shell c/ OUEDRAOGO Sibiri Philippe). Cette décision a quasi été suivie en 2016 lorsque pour le juge, « le montant du loyer fixé par les juges ne peut faire l’objet de contestation dès lors que lesdits juges ont fondé leur décision sur les éléments de révision de l’article 117, notamment la situation des locaux, leur superficie, l’état de vétusté et le prix des loyers commerciaux couramment pratiqué dans le voisinage pour des locaux similaires » (CCJA, 2ème ch. Arr. n° 150/2016, 27 Octobre 2016, Affaire Société SAEC SARL c/ L’Archevêché de Conakry).
C’est dire que les seuls éléments sur lesquels le juge doit se baser pour fonder sa décision de fixation du loyer sont ceux contenus à l’article 117. Viole donc la loi, le juge qui ne prend pas en compte ces éléments.
Une autre question est de savoir si la recherche des éléments de l’article 117 peut être confiée à un expert chargé de les évaluer à la demande du Tribunal ou des parties. Dans cette hypothèse, quelle est la portée du rapport de l’expert sur l’office du juge ? Le juge est-il lié par ce rapport ?
Sur la question, une jurisprudence constante se dégage : le rapport d’expertise ne saurait se substituer aux éléments à prendre en compte indiqués à l’article 117 de l’Acte uniforme susvisé ; le juge n’est donc pas lié par ce rapport, il conserve son pouvoir souverain d’appréciation. En effet, « l’article 117 de l’Acte uniforme accorde un pouvoir discrétionnaire au juge dans la fixation du nouveau montant de loyer. Ainsi, il ne peut lui être opposé le défaut de désigner un expert car même fixé à dire expert, le montant du nouveau loyer peut être modifié par le Juge en vertu du pouvoir souverain de fixation de loyer que lui reconnait cette disposition » (CCJA, 1ème ch. Arr. n° 056/2016, 21 avril 2016, Monsieur DALQUIER MAURICE, Madame OUDART épouse DALQUIER Chantal Juliette c/ Monsieur Koudou DAGO).
Toutefois, dans un dossier concernant un de nos clients, le juge a ordonné d’office la désignation d’un expert « à l’effet de déterminer le prix du loyer » et a suivi aux termes de sa décision le loyer indiqué par l’expert désigné. La cause est actuellement pendante à la Cour d’appel du Littoral en raison de la contestation du rapport d’expertise.
La pratique relève également une propension pour les juges à communiquer les dossiers de révision des loyers au Parquet pour les réquisitions du Ministère public ; ce qui entraine une lenteur évidente en cette matière où le Tribunal doit pourtant statuer à bref délai. Cette lenteur pose en outre le problème du point de départ de la révision qui oblige généralement le juge à assortir sa décision d’un effet rétroactif en violation du principe selon lequel la décision n’est opposable aux parties qu’à compter de sa notification.
De tout ce qui précède, notre position est que le loyer est fixé par le Juge et non par l’expert et celui-ci doit le faire en se fondant sur les éléments contenus à l’article 117. Il peut tout au plus puiser des éléments dans le rapport d’expertise pour motiver sa décision et non s’en référer automatiquement car, en définitive les éléments de fixation de loyer contenus à l’article 117 sont d’ordre public. Aussi, la communication du dossier au Ministère public nous paraît par ailleurs superfétatoire.