La question de la responsabilité des personnes morales a toujours été un épineux problème dans l’espace OHADA. Or, l’attractivité de cet espace dépend de l’attractivité des normes applicables. A quoi bon traiter avec l’État si ce dernier ne peut faire l’objet d’exécution forcée ? Pourtant l’État a de nos jours laissé ses fonctions régaliennes pour devenir un véritable opérateur économique. Dans ces conditions, il est illogique et même incongru de parler de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public.

Cette question a fait l’actualité au lendemain de la promulgation de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution en 1997. Il en était ainsi pour trois raisons : législative, jurisprudentielle et doctrinale. Sur le plan législatif, l’OHADA avait opté pour l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public en ces termes « L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient de l’immunité d’exécution » (Article 30 de l’ancien Acte uniforme). La seule atténuation de cette immunité était la possible compensation des dettes certaines, liquides et exigibles de ces personnes morales de droit public et des entreprises publiques.

Sur le plan jurisprudentiel, l’application de ces dispositions a été à l’origine de balbutiements sans précédent. L’actualité jurisprudentielle la plus patente fut certainement l’affaire TOGO TELECOM pour laquelle la CCJA avait apporté une interprétation de l’article 30 de l’Acte uniforme sus indiqué  en ces termes « l’article 30 de l’AUPSRVE pose à son alinéa 1 er le principe général de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public et en atténue les conséquences à son alinéa 2 à travers l’admission contre elles du procédé de la compensation des dettes. Ladite compensation, poursuit-elle, qui s’applique aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques, ne peut s’analyser que comme un tempérament au principe de l’immunité d’exécution qui leur bénéficie en vertu de l’alinéa premier dudit texte ; qu’il suit qu’en jugeant que l’article 30 alinéa 1er de l’Acte uniforme susvisé pose le principe d’immunité d’exécution, et que les entreprises publiques, catégorie dans laquelle est classée Togo Télécom, figurent dans l’énumération des sociétés contre lesquelles s’applique la compensation, il n’y a aucun doute à l’égard de cette dernière sur sa qualité de bénéficiaire de l’immunité. Partant, la Cour d’appel de Lomé n’ point erré dans l’interprétation dudit article et donc point violé celui-ci, qu’il échet par conséquent de rejeter ce premier moyen »  (CCJA, arrêt n° 043/2005 du 07 juill. 2005, aff. Aziablévi Yovo et consors c/ Sté Togo Télécom, in Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 6, juill.-déc. 2005, pp. 25 à 29).

La Haute cour lançait ainsi un signal fort quant à l’interprétation qu’il fallait donner à cet article 30.  Sa jurisprudence est restée conforme à la lettre de la loi ; elle a opté pour une conception absolue de l’immunité d’exécution, ceci dans un sens incompatible avec les objectifs du Traité OHADA. En effet, ce Traité, dans son préambule, réaffirme la volonté des Etats membres de renforcer la sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA, de nature à garantir un climat de confiance concourant à faire de l’Afrique un pôle de développement.

Cette décision était donc pour le moins critiquable. La doctrine n’a pas manqué de relever que l’arrêt de la CCJA était de ce point de vue un recul par rapport à la finalité de l’OHADA. Il a même été relevé que c’est une décision critiquable en droit et en fait.

Il devenait donc impérieux de voir une évolution dans ce domaine pour rendre l’espace OHADA plus attractif. Cette voie a été suivie de façon progressive par la jurisprudence de la CCJA. Cette jurisprudence est passée progressivement de l’affirmation absolue de l’immunité d’exécution des États et ses organismes et même aux sociétés dans lesquelles il a des parts sociales et ce, indépendamment de leur forme juridique, de leur mission, au rejet de l’immunité d’exécution aux personnes morales ayant adopté les canons de l’OHADA, même lorsque l’État est actionnaire unique. On peut donc affirmer que la CCJA, dans son rôle d’interprétation, a le mérite de donner à l’article 30 de l’Acte uniforme portant voies d’exécution une certaine cohérence en délimitant le domaine d’application de l’immunité d’exécution.

L’apothéose a été atteint avec la reforme dudit Acte uniforme dans lequel le législateur a suffisamment pris en compte les enjeux en prenant en compte les évolutions jurisprudentielles pour consacrer l’atténuation du caractère absolue de l’immunité d’exécution dont bénéficient les personnes morales de droit public et en donnant la possibilité aux personnes morales investies d’une mission de service public d’obtenir des facilités d’aménagement de paiement de leurs dettes.

L’atténuation du caractère absolue de l’immunité d’exécution est d’abord perceptible à travers la possibilité pour ces personnes morales de droit public de renoncer à leur immunité d’exécution. Le législateur fait la précision en ces termes à l’article 30 Nouveau « Sauf renonciation expresse, il n’y a pas d’exécution forcée ni de mesures conservatoires contre les personnes morales de droit public, notamment l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics ». Le législateur poursuit en maintenant le régime de la compensation des dettes qui existait avant la réforme en ces termes « Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité ».

Le nouvel article 30-1 poursuit en prévoyant que « Toutes créances constatées par un titre exécutoire ou découlant d’une reconnaissance de dette par une personne morale de droit public, notamment l’État, une collectivité territoriale ou un établissement public peut, après une mise en demeure adressée à l’organe dirigeant ou à l’autorité compétente dans chaque État partie et restée infructueuse pendant un délai de trois mois à compter de la notification, faire l’objet d’une inscription d’office dans les comptes de l’exercice et dans le budget ladite personne morale, au titre des dépenses obligatoires ».  Cette demande d’inscription est adressée au ministre chargé des Finances et doit être accompagnée des pièces justificatives de la créance et de la mise en demeure. Les créances ainsi inscrites à la suite d’une demande d’inscription d’office portent de plein droit intérêt au taux légal en vigueur à compter de la mise en demeure. Elles demeurent soumises aux nécessaires critères de certitude, de liquidité et d’exigibilité.

On constate alors que le législateur limite cette procédure de recouvrement de créances uniquement à certaines catégories de personnes morales de droit public notamment l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics. C’est pourquoi il a prévu une procédure de recouvrement particulière pour les autres personnes morales de droit public. Il s’agit ici par exemple des entreprises publiques. Pour cette catégorie, Par ailleurs, relativement à l’exécution forcée et les mesures conservatoires dirigées contre les personnes morales autres que celles bénéficiaires de l’immunité d’exécution, l’article 30-2 nouveau prévoit que le juge peut, à la demande de la personne morale intéressée ou du ministère public, prendre toutes mesures urgentes appropriées, en subordonnant de telles mesures à l’accomplissement, par le débiteur, d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette. De telles mesures peuvent être prises lorsque l’exécution forcée ou les mesures conservatoires sont de nature à porter gravement à la continuité du service public Les signes prémonitoires de l’infléchissement.

Le législateur a également fait des précisions en ce qui concerne les personnes morales de droit public étrangères. A ce sujet, l’article 30-3 dispose que « Sauf renonciation expresse, il n’y a pas d’exécution forcée ni de mesures conservatoires contre les personnes morales de droit public étrangères et les organisations internationales qui bénéficient de l’immunité d’exécution en vertu de convention sur les relations diplomatiques ou consulaires ou d’accord d’établissement ou de siège ».