Le fonctionnement d’une société commerciale n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Au cours de sa vie, elle peut être confrontée à des crises multiformes qui peuvent aller jusqu’à paralyser son fonctionnement normal. Pour la sauver, il est mis en place un mécanisme donc l’objectif est de désigner un administrateur provisoire qui se substituera aux dirigeants légaux, le temps que la crise se dénoue.

Droit des sociétés

 

  1. QUELLES CONDITIONS NÉCESSAIRES POUR LE DÉCLENCHEMENT DE L’ADMINISTRATION PROVISOIRE ?

A la faveur de la révision de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, lorsque le fonctionnement normal de la société est rendu impossible, soit du fait des organes de gestion, de direction ou d’administration, soit du fait des associes, la juridiction compétente statuant à bref délai, peut décider de nommer un administrateur provisoire aux fins d’assurer momentanément la gestion des affaires sociales.

Deux conditions sont donc exigées pour le déclenchement de l’administration provisoire :

  1. Le fonctionnement anormal de la société: c’est l’hypothèse dans lequel il y’a dysfonctionnement et ou paralysie de la société du fait des organes de gestion, de direction ou d’administration. Il peut également s’agir du cas où le dysfonctionnement provient des associés. Ces facteurs doivent alors rendre le fonctionnement normal de la société impossible pour que le juge soit saisi. A titre d’exemple, dans l’Arrêt N° 117/2004 du 4 novembre 2004, pour mettre une société sous administration provisoire, le juge a pris en compte la mésintelligence qu’il y avait entre les associés (Affaire Michel ZOUHAIR FADOUL EL ACHKAR c/ OMAÏS KASIM et société Transport OMAÏS KASSIM, Société SELECTA SARL).
  2. Le péril imminent : C’est seulement lorsque la société s’est exposée à un péril certain et imminent que le juge accepte d’intervenir. Par contre si le risque évoqué est simplement éventuel, la demande n’est pas fondée. C’est donc au juge saisi de la demande de désignation de l’administrateur provisoire qu’il revient d’apprécier le péril. Il a ainsi été jugé par la Cour Suprême ivoirienne qu’il n’y a pas lieu à nomination d’un administrateur provisoire dès lors que « les organes de la société fonctionnent, se réunissent régulièrement et délibèrent conformément aux statuts de ladite société » (Cour suprême de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, arrêt n° 123/7 du 9 mars 2007, La société YARA WEST AFRICA, La société YARA France c/ La société de financement et de participation de Côte d’Ivoire dite SFPI).

 

  1. QUI PEUT DEMANDER LA MISE SOUS ADMINISTRATION PROVISOIRE D’UNE SOCIÉTÉ ?

L’Acte uniforme prévoit que la juridiction compétente est saisie soit des organes de gestion, de direction ou d’administration, soit d’un ou plusieurs associés. Mais la question qui se pose est celle de savoir si un associé dont la qualité est contestée peut demander la mise sous administration provisoire de la société. Le problème s’est posé dans l’affaire OMAÏS KASSIM précisément et les juges ont donné droit à la demande de l’associé dont la qualité était contestée.

  1. QUELLE PROCÉDURE POUR LA DÉSIGNATION DE L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE ?

La juridiction compétente est saisie à la requête soit des organes de gestion, de direction ou d’administration, soit d’un ou plusieurs associés. Classiquement, les requêtes introduites en vue de nommer un administrateur provisoire le sont au travers de la procédure des référés, justifiés par l’urgence et la prévention d’un dommage imminent et certain. Les requêtes peuvent aussi être introduites au fond à travers la procédure à jour fixe. Le terme « statuant à bref délai » de l’article 160-1 de l’Acte uniforme soutient ces pratiques. A peine d’irrecevabilité de la demande de désignation de l’administrateur provisoire, la société devra être mise en cause.

  1. QUELLES QUALITÉS POUR L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE A NOMMER ?

La juridiction compétente nomme en qualité d’administrateur provisoire une personne physique qui peut être un mandataire judiciaire inscrit sur une liste spéciale ou toute autre personne justifiant d’une expérience ou une qualification particulière au regard de la nature de l’affaire et remplissant certaines conditions de qualification et de réputation.

  1. QUELLES MISSIONS POUR L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE ?

La décision du juge définit l’étendue de la mission et des pouvoirs de l’administrateur provisoire. Il dispose à ce titre d’un pouvoir discrétionnaire important et peut octroyer à l’administrateur provisoire tout ou partie des prérogatives du dirigeant de l’entreprise. La nature de l’administration provisoire est en effet principalement conservatoire et vise à rétablir le fonctionnement normal de la société et endiguer le péril imminent qui la menace.

Sa tâche première va être de concilier les antagonismes présents au sein de la société et qui ont un impact sur son fonctionnement normal. Mais sa mission de gestion est sa tâche principale. Il représente la société dans le cadre de sa mission et dans la limite de ses pouvoirs. Tout acte qu’il accomplit en outrepassant ces pouvoirs est inopposable à la société. La loi lui attribue également des missions complémentaires qui consistent à :

  • Établir les états financiers de synthèse annuels ;
  • Établir un rapport de gestion dans lequel il rend compte des opérations de l’administration provisoire au cours de l’exercice écoulé ;
  • Convoquer, selon les modalités prévues par les statuts, dans les six (6) mois de la clôture de l’exercice, l’Assemblée des associés qui statue sur les états financiers de synthèse annuels, donne les autorisations nécessaires et, le cas échéant, renouvelle le mandat du commissaire aux comptes.

A titre illustratif, dans l’affaire OMAÏS KASSIM précitée, l’administrateur provisoire désigné avait pour mission de :

  • Administrer et diriger la société Transport OMAÏS KASSIM SELECTA ;
  • Procéder à l’audit des comptes des comptes de cette société de la période allant du 08 août 2001 jusqu’à la date de sa prise de fonction ;
  • Procéder aux formalités d’actualisation des statuts de la société (…) ;
  • Convoquer dans les (6) six mois de sa prise de fonction une assemblée des associés à l’effet de régler les différends qui opposent ceux-ci, d’établir les organes dirigeants légitimes et présenter les bilans comptables, les déclarations et informations relatives à la régularité fiscale de la société ;
  • Acquitter toutes les charges liées à ses fonctions d’administrateur provisoire et adresser régulièrement à Monsieur le Greffier en Chef de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage un rapport bimensuel des diligences accomplies, et ce, jusqu’à la fin de sa mission.
  1. QUELLE DURÉE POUR LA MISSION DE L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE ?

La durée de la mission de l’administrateur provisoire ne peut excéder six (6) mois, sauf prorogation décidée par la juridiction compétente à la requête de l’administrateur provisoire, les parties étant appelées. Dans sa demande de prorogation, l’administrateur provisoire doit indiquer, à peine d’irrecevabilité, les raisons pour lesquelles sa mission n’a pu être achevée, les mesures qu’il envisage de prendre et les délais que nécessite l’achèvement de la mission. Dans tous les cas, le juge fixe la durée de la prorogation sans que la durée totale de l’administration provisoire n’excède douze (12) mois.

La question qui se pose est celle de savoir si ces délais contenus dans l’Acte uniforme sont simplement indicatifs au regard de la pratique. En effet, on assiste, à titre illustratif, à une administration provisoire d’une société qui a déjà duré près de huit (8) ans, soit près de 96 mois, largement au-dessus des 12 mois maximums prévu par l’Acte uniforme. Dans l’Affaire OMAÏS KASIM dont il s’agit, le premier administrateur provisoire a été désigné dans l’Arrêt du 04 novembre 2014 pour un mandat de 12 mois.

Ce mandat a été prorogé par une Ordonnance du Président de la CCJA datant du 15 octobre 2015 pour une durée de six (6) mois. Par une autre Ordonnance datant du sept (7) mars 2019, le Président de cette haute juridiction a de nouveau prorogé le mandat du même administrateur provisoire pour une durée supplémentaire de 12 mois au motif que celui-ci n’a pas pu accomplir intégralement sa mission.

Dans l’Arrêt N° 241/2020 du 25 juin 2020 et portant sur la même affaire, le juge a désigné un autre administrateur provisoire en remplacement du précédent, et ce, pour une durée de 12 mois. Dans une autre ordonnance datant du 29 novembre 2021, le mandant dudit administrateur provisoire a également été prorogé pour une durée de 12 mois.

C’est dire que dans cette affaire, on assiste à une prorogation sans limite du mandat de l’administrateur provisoire, ceci en violation de la Loi. La portée normative des dispositions de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et portant sur l’administration provisoire est donc questionnable au regard de la pratique.

L’autre curiosité liée à la prorogation du mandat de l’administrateur provisoire est relative à la qualité du demandeur. Si l’Acte uniforme indique explicitement que dans sa demande de prorogation, l’administrateur provisoire doit indiquer, à peine d’irrecevabilité, les raisons pour lesquelles sa mission n’a pu être achevée, ce n’est pas le cas devant la CCJA qui a fait droit à l’action d’un associé qui sollicitait la prorogation du mandat de l’administrateur provisoire (Ordonnance N°004/2019/CCJA, Affaire Michel ZOUHAIR FADOUL EL ACHKAR c/ OMAÏS KASIM et société Transport OMAÏS KASSIM, Société SELECTA SARL)

  1. QUELLE RÉMUNÉRATION POUR L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE ?

L’Acte uniforme indique que la décision qui désigne l’administrateur provisoire fixe sa rémunération qui est à la charge de la société. Quelles formes peuvent donc prendre la rémunération à laquelle l’administrateur provisoire a droit ?  Sur la question dans l’affaire OMAÏS KASSIM précitée, le juge est allé un peu loin dans l’Ordonnance N°028/2022/CCJA 21 juillet 20022 en accordant à l’administrateur provisoire, outre les avances sur honoraires, les frais de reprise d’exploitation le remboursement des frais avancés. Ainsi, le juge a pris en compte les frais engagés par l’administrateur provisoire pour la sauvegarde des biens de la société.

  1. QUEL CONTRÔLE ET QUELLE RESPONSABILITÉ POUR L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE ?

Dans le cadre de sa mission, l’administrateur provisoire peut être contrôlé de deux manières :

  • Le contrôle direct par le juge: l’administrateur provisoire doit présenter au juge l’ayant nommé, au moins une fois tous les trois mois un rapport sur les opérations qu’il a accomplies ainsi que sur l’évolution de sa mission ;
  • Le contrôle indirect à travers la procédure d’alerte: il s’agit de la procédure selon laquelle un commissaire au compte ou le cas échéant l’associé pose par écrit des questions à l’administrateur provisoire sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.

Pour ce qui est du régime de responsabilité, l’administrateur provisoire est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions.

  1. QUELLE FIN POUR LE MANDAT DE L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE ?

Le mandat de l’administrateur provisoire prend fin en cas de :

  • Décès de l’administrateur provisoire ;
  • Changement d’administrateur provisoire ;
  • Démission de l’administrateur provisoire ;
  • Succès du mandat de l’administrateur provisoire, ce qui entraine la reprise de la gestion de la société par les organes légaux.
  • Échec du mandat de l’administrateur provisoire, ce qui entraine la dissolution et la liquidation de la société. /